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Diaspora et discours artistique mondial - Art Africain 2016

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Osei G. Kofi

UN NOUVEAU JOUR SE LÈVE
La diaspora africaine est une Église mondiale, couvrant des millions de personnes à travers les sept continents, regroupant une pléthore de cultures, et dont l’ADN ancestral est gravé dans la Mère Continent – la Patrie – au sein de laquelle elle entre en résonance. En tant qu’outil opérationnel, le terme s’applique aux Africains de la première et de la deuxième génération ayant une identité nationale ou constitutionnelle en dehors de l’Afrique.
C’est une innovation remarquable sur la scène artistique : de nombreux créatifs ont choisi de faire la navette entre la Patrie et les terres extérieures. Autrement dit, c’est du monde entier qu’ils tirent leur inspiration, leur toile, leur argile et leur pierre. Entre autres exemples : le camerounais Barthélémy Toguo, le ghanéen Owusu Ankomah et la Kenyane Wangechi Mutu.
L’Afrique est la région la plus récente à entrer – voici à peine deux décennies – dans l’espace artistique mondial et ses sous-espaces : musées, galeries, collections privées et d’entreprise, foires et maisons de vente aux enchères. Les premières années ont été marquées par des tensions importantes entre artistes et conservateurs de la Diaspora et de la Patrie d’origine. La diaspora opérait au sein du marché principal, à savoir l’Europe et l’Amérique du Nord. Logiquement, ces régions étaient les mieux placées pour exploiter les opportunités offertes. Néanmoins, de nombreuses critiques ont été exprimées : des artistes et des galeristes de la Patrie ont accusé les imprésarios des institutions artistiques occidentales et des galeries privées de favoriser l’art étiqueté « contemporain africain », même s’il n’en avait souvent que le (faux) nom. Trop souvent, l’art singeait maladroitement les styles et les goûts de l’Occident, surtout en termes d’art de l’installation et de la performance.
D’aucuns affirmaient que « l’art c’est l’art » et qu’il ne saurait donc avoir d’identités ou de frontières géographiques spécifiques. C’est vrai – jusqu’à un certain point. Certains pourraient prendre ombrage de l’étiquette « africain » accolée à « contemporain ». Cependant, la géolocalisation est plus appréciée pour sa spécificité créative inhérente que pour sa connotation négative. Si vous le niez, c’est à vos risques et périls. La spécificité n’est pas mauvaise. Ce n’est pas de la ghettoïsation. Le fait est que l’art occidental, tant ancien que moderne, a un ADN géo-social distinct.
Idem pour l’art oriental, latino-américain ou asiatique au sein du spectre global. Une peinture japonaise comme un Rembrandt sans inflexion culturelle japonaise est vite noyée dans la masse, pour disparaître sans laisser de trace. Les photographies du Malien Seydou Keita, prises dans des conditions qui déconcerteraient tout photographe non-africain, dégagent une énergie considérable, un mojo, un sens de l’humour, qui échapperait à d’autres praticiens de cette forme d’art qui n’auraient pas été formés dans l’environnement mandingue-bambara de Keita.
Ernest Dükü (b.1958) Entre nous histoire elle court, 2003 Mixed media 91x62x5 cm Court. the artist

Ernest Dükü (né en 1958)
Entre nous histoire elle court, 2003
techniques mixtes 91x62x5 cm
courtesy de l’artiste

Julia Grosse & Yvette Mutumba
co-fondateurs de Contemporary And
Julia Grosse et Yvette Mutumba ont, à Berlin en 2013, fondé Contemporary And (C&), la plateforme en ligne d’art international sous perspectives africaines. Le duo a été invité par Noah Horowitz, alors directeur de l’Armory Show à New York, à assurer le commissariat de l’exposition Focus : Perspectives africaines de l’édition 2016 du salon d’art (/ foire artistique), qui compte 13 galeries. Cette initiative fait suite à l’accent mis sur la Chine en 2014 ; et en 2015, sur le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et la Méditerranée. Depuis sept années d’existence, c’est la première fois que des femmes assurent le commissariat d’une édition d’Armory Focus.
Quelle fut la genèse de l’invitation à être commissaire de Focus : Perspectives africaines à l’Armory Show de 2016
Noah Horowitz nous a approchés, suite à la recommandation d’un certain nombre de conservateurs, pour nous dire que l’Armory aimerait se concentrer sur le continent africain. Une telle focalisation particulariste ne nous intéressait pas : pour nous, à C&S, il n’y a pas d’art africain mais de l’art, provenant de perspectives africaines, comme un artiste de Nairobi dont les parents sont originaires du Ghana ou un artiste établi à Londres originaire de Tanzanie. Un peintre de Johannesburg fait des choses complètement différentes d’un artiste de performance au Caire. Or, persiste encore cette tendance à accoler cette étiquette globale – « art africain » – à des pratiques très diverses en Afrique et dans la diaspora. Nous avons donc dit à Noah que nous aimerions assurer le commissariat de cette section mais en mettant l’accent sur les perspectives africaines, en incluant des galeries de villes africaines et de la diaspora à Paris et à Londres.
Comment avez-vous envisagé « Focus : Perspectives africaines » ?

Nous avions en tête le scénario idéal selon lequel les visiteurs entreraient dans l’espace Focus, qui était relié à une autre salle, sans se rendre compte qu’ils entraient dans une section consacrée à l’art de l’Afrique. Nous voulions qu’ils voient des œuvres réalisées principalement par de très jeunes artistes et qu’ils n’y discernent pas quelque chose de typiquement africain. Aucun indice ne subsistait, comme des masques ou des motifs typiques. À en juger par les réactions que nous avons constatées, les gens ont compris qu’il n’y a pas d’art africain, mais qu’il en existe de nombreux styles et approches.

Quel était votre concept ?
Il s’agissait de montrer des maîtres, qu’ils soient jeunes ou vieux. Nous avons commencé par sélectionner les artistes que nous voulions y inclure, puis contacté leurs galeries. Nous avons donc demandé aux galeries de se concentrer sur un seul artiste pour installer des présentations en solo, plutôt que de présenter cinq ou six artistes à la fois, à l’étroit dans un espace exigu surchargé. Du point de vue d’un commissaire, c’était génial : on se croyait dans une petite exposition organisée par une galerie. Cependant, nous reconnaissons bien volontiers que demander aux galeries de ne présenter qu’un seul artiste leur fait courir un risque élevé. Mais le Focus a également été un succès financier, car toutes les galeries ont vendu des œuvres. Il aurait été très fâcheux qu’avec ce concept, certes esthétiquement plaisant, aucune galerie ne parvienne à vendre ses œuvres.

Outre les galeries mettant en avant de très jeunes artistes contemporains, nous en avons inclus deux autres, la Vigo Gallery et la October Gallery à Londres, présentant des maîtres plus anciens : l’artiste soudanais Ibrahim El-Salahi (né en 1930) et Aubrey Williams (né en 1926 et décédé en 1990). Ce fut un honneur pour nous de voir leurs galeries accepter de participer, car les pièces de ces artistes se montent à plusieurs centaines de milliers de dollars. La raison pour laquelle nous les avons inclus c’est qu’à C& nous tenons à dire que l’art contemporain d’Afrique et de la diaspora n’est pas né de la dernière pluie. Les histoires africaines sont diverses et l’art moderne y existe depuis des décennies. Les galeries présentant de jeunes artistes trônaient au milieu de l’espace, épaulés par les vieux maîtres de chaque côté.

Quelles ventes furent les plus spectaculaires ?

Une peinture d’El-Salahi a atteint presque 1 million de dollars. Certains musées ont également investi dans d’importantes acquisitions. Par exemple, le projet Blank, au Cap, a vendu la totalité de son stand consacré à l’artiste sud-africaine Turiya Magadlela. Le Studio Museum de Harlem, à New York, a acquis une pièce de Turiya Magadlela.

Comment les visiteurs ont-ils réagi à la collection Focus ?

Les visiteurs ont été surpris de découvrir des œuvres qui leur étaient inconnues, comme des photographies et peintures réalisées par de jeunes artistes qui ne correspondaient pas à leurs attentes vis-à-vis des perspectives africaines. Les artistes n’étaient pas de grands noms du monde de l’art, et leurs œuvres pas stéréotypées. Surprenant pour des visiteurs noirs américains de voir autant d’art africain et de la diaspora en Europe dont ils n’avaient pas connaissance, alors qu’ils avaient si souvent vus les œuvres de certains des artistes noirs américains très importants et archi-connus. Tout le monde connaît El Anatsui mais on avait là une excellente plateforme pour présenter la jeune génération à des collectionneurs potentiels.

Quels retours avez-vous eu des galeries qui ont participé à la collection Focus ?

Les galeries Addis Fine Art, d’Addis Abeba en Éthiopie, et la galerie Omenka, de Lagos au Nigéria ont toutes dit que ça avait vraiment valu la peine parce que, normalement, elles n’ont pas les moyens de participer à une foire artistique comme l’Armory, alors qu’elles ne demandent qu’à être vues et à présenter leurs artistes. Une galerie basée à Seattle, Mariane Ibrahim Gallery, qui faisait partie de « Focus : Perspectives africaines », a été cette année autorisée à participer à la foire principale et a remporté le prix du meilleur stand, ce qui nous a fait grand plaisir.

Que pensez-vous de ces collections focalisées, pendant les foires et salons d’expositions, sur un pays ou une région, du genre des expositions sur le thème de l’Afrique, par exemple ?

C’est formidable pour des artistes qui n’ont pas, d’habitude, la chance d’être exposés en Europe ou aux États-Unis. Mais l’intérêt dont ils bénéficient est lié à une tendance : il y a quelques années, il n’y en avait que pour l’Inde, puis on ne parla plus que de la Chine et la prochaine fois peut-être ce sera au tour de l’Australie. Or, chez C&, la vision de notre travail est durable, à long terme. Le problème d’accoler cette étiquette « art africain » sur tout, c’est que ce sont toujours les mêmes noms qui ressortent.

Comment les rêves et les ambitions des artistes de la diaspora africaine évoluent-ils ?

Si vous parlez à de jeunes artistes travaillant à Nairobi ou Johannesburg, ils ne rêvent pas de se voir enfin exposés à Londres. Ce n’est plus tendance ; alors que c’était le top pour des artistes qui ont la cinquantaine aujourd’hui et qui vivent en Belgique ou à Londres. La jeune génération s’intéresse au travail sur le terrain, dans leurs propres villes, en créant des espaces d’art ou des programmes en résidence. Fini le temps où l’Europe et le monde de l’art occidental étaient le paradis et l’objectif le plus ambitieux. On ne se dit plus « une fois que j’aurais réussi à Londres ou à New York, je serai enfin devenu un artiste digne de ce nom ».

Les jeunes artistes ont souvent la possibilité de voyager et de travailler en résidence à New York ou Rotterdam, ou de séjourner un an à Berlin. Au cours de ces dix dernières années, ils ont eu tendance à revenir travailler sur la scène artistique de leur propre ville et à reconnaître qu’il se passe beaucoup de choses ailleurs qu’à Berlin et Londres. Un artiste ghanéen aura une exposition à New York, mais il retournera ensuite à Accra pour y établir son infrastructure artistique. Nous étions au Congo en mai, où nous avons parlé à un peintre très connu, dans la soixantaine. Il nous a dit : « Déménager à Paris, très peu pour moi : mon infrastructure et mes collègues sont ici ; je vais bientôt lancer un programme en résidence et construire une maison dans le jardin, pour y accueillir des artistes d’autres villes africaines ». Vous voyez, les jeunes ne sont donc pas les seuls à vouloir rester sur le terrain au lieu de s’exiler en Europe.

Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?

Nous venons de publier notre premier livre, qui reprend quelques-uns des reportages publiés sur C& au cours des quatre dernières années. La dernière édition imprimée de notre magazine, qui porte sur l’éducation, a été lancée en juin, en collaboration avec la Documenta. Nous animons également des ateliers d’écriture critique ; le troisième aura lieu en septembre à Harara, au Zimbabwe. L’année prochaine, nous lancerons une extension de C&, qui se concentrera sur la relation entre Afrique et Amérique du Sud.

Tumelo Mosaka
Curateur
Tumelo Mosaka est un commissaire d’art contemporain dont les projets ont exploré la production artistique mondiale et transnationale, celles de l’Afrique, des Caraïbes et de l’Amérique du Nord en particulier. Ils ont abordé des sujets tels que l’injustice raciale, la migration et l’identité. Après avoir été conservateur associé d’expositions au Brooklyn Museum de New York et commissaire d’art contemporain au Krannert Art Museum de Champaign, Illinois, Mosaka est retourné en Afrique du Sud, fin 2016, où il est devenu conservateur en chef de la Cape Town Art Fair.
Quel était votre objectif lorsque vous êtes devenu le conservateur en chef de la Cape Town Art Fair ? Et comment envisagiez-vous la collection « Tomorrows/Today » ? (Lendemains/Aujourd’hui) ?
Mon objectif était d’engager à nouveau une conversation avec des artistes africains et d’explorer comment Le Cap peut devenir une porte ouverte sur le monde, en particulier pour l’art contemporain. Ma vision pour Tomorrows/Today était d’offrir à des artistes moins connus une plateforme leur permettant de participer à ce dialogue. J’étais à la recherche d’artistes locaux et internationaux sous-représentés, réalisant des œuvres d’avant-garde et pour lesquels la foire jouerait un rôle central, en leur offrant de la visibilité. J’ai eu des conversations avec de nombreux artistes et galeries sur la manière de rendre cette collection différente. Le commissariat d’une foire est très différent de celui d’une exposition dans un musée. Cela exige une négociation constante entre galeries et artistes. L’enthousiasme des artistes et le dynamisme de leurs œuvres ont été déterminants pour entretenir la flamme.
Avec quels artistes de la diaspora avez-vous travaillé ?
Avec Marcia Kure, du Nigeria, qui vit à New York. Elle est représentée par Bloom Art Lagos au Nigeria ; Joel Andrianomearisoa, issu de Madagascar, vit à Paris. Il est représenté par la galerie Sabrina Amrina de Madrid ; et Maurice Mbikayi, du Congo, vit au Cap. Il est représenté par la galerie Momo au Cap et à Johannesburg. Je recherchais des œuvres traitant de différents médias et thèmes, et par des artistes de tranches d’âge variées. Outre l’emplacement géographique, je m’intéressais à la façon dont ils utilisent les symboles pour provoquer, informer et construire des récits alternatifs. Prenons par exemple les photographies de Mbikayi, qui commentent les déchets technologiques, l’urbanisme et la culture populaire au Congo.
De quelle manière travailler en diaspora a-t-il une influence sur le travail d’un artiste ?
Comme les artistes se déplacent d’un endroit à l’autre, leurs histoires respectives ne sont pas linéaires mais bien plus complexes et elles n’ont pas nécessairement rapport avec leur lieu de naissance. Ce qui m’intéressait, c’était la façon dont ils jonglent avec de multiples espaces et identités. Les artistes sont très sensibles à la manière dont le lieu et l’identité informent leur récit personnel et reflètent leur localité. En tant que commissaire d’exposition, je réfléchis toujours à la manière dont le message est communiqué et dans quelle mesure il se rapporte à l’expérience quotidienne.
Comment votre expérience de commissaire d’exposition aux États-Unis a-t-elle influencé votre vision de la diaspora ?
Énorme. Je ne pense pas qu’il y ait un seul endroit dans le monde aujourd’hui où l’on ne trouve pas de Noirs. Sauf en Antarctique, et encore ! Nous parlons d’une histoire séculaire de migrations, forcées et volontaires, qui ont abouti à des générations de gens installés partout. Distance géographique et distorsions historiques ont valu à l’Afrique de continuer à être ce lieu incompris. La plupart des Occidentaux veulent voir l’Afrique sous l’angle du passé. Alors que l’Afrique contemporaine correspond tout à fait à la manière dont le monde moderne s’est développé. Avec une diaspora aussi importante, de plus en plus d’artistes démystifient les vieux récits et résistent à toute représentation stéréotypée.
À votre avis, quel effet la diaspora africaine a-t-elle eu sur le monde de l’art ?
Il n’y a pas une seule diaspora, mais plusieurs, qui se définissent par notre relation aux personnes et aux lieux. Être originaire d’ailleurs implique d’être en contact avec son foyer et sa famille, tout en créant de nouvelles communautés dans de nouveaux espaces et en redéfinissant notre existence. La diaspora, c’est vivre l’expérience de construire des ponts, d’entretenir des relations et de trouver un terrain d’entente avec les autres, car la migration reste une réalité de tous les instants de nos jours. Il s’agit donc de comprendre la rupture et la distance et de remodeler son mode de vie.
Beaucoup d’artistes vivent et travaillent dans différentes parties du monde et ils ont attiré l’attention de la communauté internationale ; ils proposent une autre compréhension de ce qu’est l’Afrique d’aujourd’hui. C’est un défi, car le statut de l’art et de la représentation du peuple noir doit être totalement revu. À la foire artistique du Cap, on constate l’ampleur et la portée de la créativité produite à l’intérieur et à l’extérieur du continent. La foire a pour but de mettre tout cela au premier plan et de créer un dialogue visible sur ces questions.
Comment décririez-vous l’impact de la diaspora en Afrique du Sud ?
Sous le régime de l’apartheid, les Sud-Africains noirs ont grandi comme des étrangers dans leur propre pays. Donc l’expérience de l’immigration interne et de la résidence temporaire ne leur est que trop familière. L’impact de la diaspora c’est également comprendre que notre expérience n’est pas unique parmi les autres tentatives génocidaires. Le dialogue permanent au sein de la diaspora offre la possibilité d’aborder des problèmes d’actualité et de proposer de nouvelles réalités qui restent à concrétiser. En Afrique du Sud, nous pouvons commencer à parler de la race et des inégalités d’une manière différente, ce qui est beaucoup plus compliqué que de les aborder dans une dynamique raciale en noir et blanc.
Que pensez-vous du soi-disant boom de l’art contemporain en Afrique ?
J’entends sans cesse parler d’un boom en Afrique, mais je n’y crois pas. Je suis d’accord pour dire que l’art contemporain africain attire de plus en plus l’attention, en partie grâce à des personnes comme le commissaire Okwui Enwezor, qui ont défendu la cause au fil du temps. Mais parler de boom me semble exagéré, car de nombreux artistes africains continuent d’être marginalisés ou sont pris au sérieux mais seulement dans le contexte de l’Afrique. Deuxièmement, le marché n’a pas réagi de la même manière quand il s’est agi du prix des œuvres de ces artistes. Les institutions commencent seulement à prendre conscience de l’écart qui existe quand elles parlent de l’art mondial. Pourquoi est-il si difficile d’accepter de classer les artistes africains parmi les contemporains ? Pourquoi est-il nécessaire de les qualifier d’africains en plein XXIe siècle ?
Mimi ErrOl
Journaliste
La diaspora, dans tous les sens du terme, a joué et continue de jouer un rôle important dans la production artistique en Côte d’Ivoire. Ceci est vrai pour tous les secteurs : du milieu de l’art, des galeries et des collectionneurs, à la production d’œuvres d’art, en passant par la critique d’art et l’enseignement académique des beaux-arts.
Cependant, la notion de diaspora doit être nuancée, surtout lorsqu’il s’agit de parler de la Côte d’Ivoire. En effet, on ne peut pas parler de la diaspora ivoirienne de la même manière que de la diaspora sénégalaise avec les Mourides – diaspora basée sur une réalité qui relève à la fois de la communauté et de la religion et qui s’enracine dans le pays d’accueil. De même, il ne s’agit pas d’une diaspora issue de la déportation, même si celle-ci a joué un rôle de premier plan dans le développement de l’art contemporain en Côte d’Ivoire, notamment avec l’école négro-caribéenne et des artistes comme Serge Hélénon, artiste-peintre et professeur à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts d’Abidjan de 1976 à 1983. Il fut à l’origine de ce qui est désormais connu sous le nom de l’École d’Abidjan et du mouvement Vohou-Vohou. À la fin des années 1960, l’émancipation, l’authenticité et les mouvements des droits civils pour les noirs ont subi un revers, à l’instar de ce qui s’est passé suite à ceux aux États-Unis et dans les Caraïbes.
Dans ce contexte, il est nécessaire de souligner le très important rôle de patronage joué par le gouverneur antillais Guy Nairay, que le président Félix Houphouët-Boigny conserva comme conseiller après l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Il fut le parrain naturel de tous les travaux des artistes ivoiriens grâce au Pen Club, qu’il fonda pour afin d’accompagner leurs projets d’exposition. Tout cela s’est déroulé à une époque où il n’y avait guère de véritables galeries d’art en Côte d’Ivoire.
Par ailleurs, la plus importante diaspora ivoirienne – celle qui a déterminé le principe selon lequel les différentes vagues d’immigration évoluèrent jusqu’en 1981, lorsque François Mitterrand arriva au pouvoir en France – fut suscitée par Félix Houphouët-Boigny. Avant de devenir le premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, Houphouët-Boigny avait été député à l’Assemblée (lorsque la Côte d’Ivoire faisait encore partie de la Fédération française d’Afrique Occidentale) et eut l’idée visionnaire d’envoyer à l’étranger 146 jeunes gens de la Haute Côte d’Ivoire (aujourd’hui Burkina Faso) et de la basse Côte d’Ivoire. Le but de cette initiative était de les former dans tous les domaines de la société. La plupart de ces jeunes sont rentrés en Côte d’Ivoire après leurs études et ont constitué la première vague de fonctionnaires de haut niveau à la tête de la Côte d’Ivoire post-indépendance. Ce projet, appelé «Aventure 1946», permit à la Côte d’Ivoire de se doter d’un acteur majeur de la scène artistique ivoirienne : Dalouman Simone. Il créa la première galerie d’art du pays, la Galerie Arts Pluriels.
Toutefois, il convient de mentionner qu’outre ces jeunes universitaires de Côte d’Ivoire, certains jeunes Ivoiriens ont effectué des séjours individuels en France, financés par leurs riches parents. Dans le domaine des arts visuels, le plus emblématiques de ces migrants partis en France est Christian Lattier (1925-1978). Fils de médecin, Lattier est à l’origine de l’ère de l’art ivoirien contemporain, un art qui se déploie désormais sous nos yeux et donne la prééminence à une certaine idée plutôt qu’à la matérialité de l’œuvre. En effet, les sculptures volumineuses de Lattier, qu’il a réalisées à mains nues avec des matériaux comme le fil de fer et la corde de sisal, ont bouleversé toutes les techniques conventionnelles en art sculptural. Il a justifié son concept en disant, «Si je les avais fait en bois, on m’aurait accusé de copier mes ancêtres. Si j’avais sculpté dans la pierre, les gens auraient dit que je copiais l’homme blanc. Donc je devais trouver quelque chose de nouveau». De ce refus de l’imitation est née une œuvre novatrice. Le fait qu’il ait remporté le Grand Prix des Arts Visuels lors du premier festival d’art noir de Dakar, en battant 219 autres candidats d’Afrique, d’Europe et des États-Unis, donne une idée du niveau de sa sa démarche artistique. Le prix a été décerné à l’artiste «qui, selon le règlement, a atteint – en s’enracinant profondément dans le monde noir – une expression artistique et humaine de haut niveau, quelle que soit le genre de technique». Notamment, Lattier a participé à des expositions avec Pablo Picasso, Salvador Dalí et Bernard Buffet.
Un autre fait qui s’ajoute à la tendance des Ivoiriens à ne pas avoir une diaspora forte est souligné par Hélène Bergues dans son rapport de 1973 intitulé «L’immigration des travailleurs noirs africains en France et particulièrement dans la région parisienne». A la page 62, elle décrit comment les pays à forte immigration sont ceux où la terre est pauvre et où la possibilité d’exploiter des terres arables est éphémère. Ce n’est pas le cas de la Côte d’Ivoire qui, qui, au contraire, a été la terre d’accueil privilégiée pour tous les migrants de la région l’Afrique occidentale, confrontée à cette difficulté des terres non arables.
Dès lors, on peut comprendre le retard jusqu’en 1970 de la ratification du «Traité de coopération» entre la France et la Côte d’Ivoire, signé dès 1961 à Paris, et que des pays comme le Mali, la Mauritanie et le Sénégal ont signé entre 1963 et 1964. Ces accords faisaient également une distinction entre les immigrants voulant exercer une activité salariée et ceux qui n’en voulait pas, et précisaient que les statistiques relatives au volume des migrants en provenance d’Afrique noire mentionnaient le nombre relativement faible provenant de Côte d’Ivoire.
La première vague de la diaspora précoloniale a déterminé le principe de l’immigration – essentiellement constituée d’étudiants et donc temporaire et limitée à leurs années d’études. Ce principe a perduré jusqu’à l’élection présidentielle française de 1981, remportée par le socialiste François Mitterrand. Le nouveau gouvernement procéda à une vaste régularisation des étrangers en situation irrégulière.
Ce contexte permit à des artistes tels que Ouattara Watt d’exercer officiellement leur profession. C’était avant que Watt, artiste-peintre, rencontre Jean-Michel Basquiat en 1988. Installé à New York depuis 1988, il est une figure de proue de l’art de Côte d’Ivoire et son porte-drapeau lors des concours internationaux. Il a participé à trois éditions de la Biennale de Venise – et l’un des quatre artistes représentant le Pavillon de la Côte d’Ivoire en 2017 – et à une édition de la Documenta. Ses visites en Côte d’Ivoire sont l’occasion pour les jeunes artistes d’apprendre comment il est entré sur le féroce marché de l’art américain en cherchant activement à faire des rencontres.
Tout aussi remarquable dans cette diaspora : l’artiste Ernest Düku. Né en 1958 à Bouaké, il a étudié à l’École nationale des beaux-arts d’Abidjan et vit à Paris depuis 1982. Diplômé en architecture et titulaire d’une licence en sciences de l’art et en philosophie de l’Université Panthéon Sorbonne (Paris), il partage son temps entre la France, son pays d’accueil, et la Côte d’Ivoire, son pays d’origine. Lorsqu’il est en Côte d’Ivoire, il enseigne l’architecture intérieure à l’INSAAC (école des beaux-arts d’Abidjan). Sa présence à temps partiel constitue un apport considérable, non seulement en raison de la qualité de sa production picturale et du niveau pédagogique de ses cours, mais aussi 44 par la qualité et la profondeur de ses interventions dans les débats formels et informels autour de l’art.
Dorris Haron Kasco, né en Côte d’Ivoire, est le premier photographe ivoirien à avoir présenté ses peintures dans une galerie d’art. Son exposition exposition, intitulée «La Femme Masquée», présentait cette femme dans son intégralité, à l’exception de son visage. Le lieu se trouvait à la Galerie Arts Pluriels. Son livre, «Les fous d’Abidjan», a été publié par la Revue Noire, la maison d’édition française, en 1994, après son exposition «Ils sont fous, on s’en fout» à Abidjan, l’année précédente. La crise politico-militaire qui frappa la Côte d’Ivoire en 2002 interrompit ses allées et venues entre son pays natal et la France. Cela l’amena à se concentrer sur ses activités d’enseignement à l’école de beaux arts de Montpellier. Depuis 2011, date de la fin de la crise, il retourne en Côte d’Ivoire presque chaque année afin d’établir une collaboration avec l’INSAAC, où il organise des ateliers pour les étudiants. Au printemps 2017, Kasco a co-organisé l’exposition de photographies «Bazouam», dans la ville historique de GrandBassam, en collaboration avec le photographe/écrivain Armand Gauz. Gauz vit et travaille entre la France et la Côte d’Ivoire depuis 1999. Son roman « Debout-Payé », publié aux éditions Le nouvel Attila, reçut le prix 2014 du meilleur premier roman français, selon le classement des «meilleurs livres de l’année» proposé par du magazine «Lire». Grâce à leur exposition dans une galerie itinérante en plein air, Kasco et Gauz ont cherché à faire tomber les barrières de l’art et le rendre plus accessible.
Dans le domaine de la photographie, la carrière d’Ananias Léki Dago illustre bien ce que la diaspora ivoirienne a apporté à la société au cours de la dernière décennie. Après avoir étudié la photographie à l’INSAAC d’Abidjan, il est parti vivre en France au début des années 2000. Après s’y être réinstallé, il a parcouru le continent africain en questionnant ses aspects multiculturels en contexte urbain. Entre autres, il a observé les shebeens (débits de boissons) des townships de Johannesburg (Afrique du Sud), les rickshaw (pousse-pousse) de Bamako au Mali et les toits en tôles ondulées de Nairobi au Kenya. Il a étendu cette expérience à la ville Cotonou au Bénin, et ses moto-taxis, les fameux «Zémidjan». Grâce à ce projet, son oeuvre a fait son entrée dans la collection du prestigieux Philadelphia Museum of Art, qui a acquis une importante collection de 20 photographies de ses séries sur Johannesburg, Nairobi et Bamako. Son succès a suscité une immense fierté nationale.
Et puis n’oublions pas le sculpteur Jems Robert Koko Bi, le sculpteur le plus emblématique de Côte d’Ivoire. Né en 1966, il a étudié à l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (INSAAC) à Abidjan, où il s’est formé auprès du sculpteur Klaus Simon dans un atelier ouvert par le Goethe Institute. Par la suite, il reçut une bourse DAAD en 1997, lui permettant d’approfondir ses études à la Kunstakademie de Düsseldorf, en Allemagne, sous la direction de Klaus Rink, ami et collègue de Joseph Beuys. C’est là qu’il obtint une Master’s. Actuellement basé entre Essen et Abidjan, l’oeuvre de Koko Bi établit un lien entre l’Occident et l’Afrique. Sa carrière internationale rappelle que l’ère contemporaine de la Côte d’Ivoire s’est ouverte avec le sculpteur Christian Lattier.
Si Abidjan est devenu le théâtre d’un marché de l’art contemporain, malgré les crises qui en ont ralenti le rythme, c’est en partie grâce au mouvement des jeunes de la diaspora ivoirienne. Ces artistes ont connu un parcours artistique qui les a ouverts aux marchés de l’art en Europe et aux Etats-Unis. Il convient également de mentionner les jeunes collectionneurs motivés issus de la diaspora. C’est le cas de Georges Moulo, 47 ans, qui a acheté des œuvres de jeunes artistes émergents. Formé en Suisse et de parents basés au Canada, il possède une collection estimée entre 20 et 30 millions de francs CFA (36 000 à 7 000 dollars). Elle est principalement composée d’œuvres de jeunes artistes tels que Sanogo Souleymane, dit Pachard, et Agoh Stefan Mobio, issu de la diaspora en France, Youssouf De Kimbirila au Canada ainsi que d’autres artistes basés en Côte d’Ivoire. D’un point de vue théorique, le critique Franck Hermann Ekra a apporté une précieuse contribution. Il fut le premier lauréat du prix de l’AICA (Association internationale des critiques d’art) pour un jeune critique ayant publié des articles pertinents sur la scène artistique ivoirienne dans le très respecté magazine français «Art Press». Sur le plan commercial, Laurence Aphing Kouassi tente d’impliquer les entreprises dans l’art après avoir suivi des études de marketing à Lyon et au Canada.
A l’inverse, certains artistes vivent en Côte d’Ivoire, comme Aboudia représenté par Ethan Cohen à New York ; ainsi que Armand Boua, représenté par la Jack Bell Gallery à Londres.
Mustapha OrIF
Marchant d’art

Le marché de l’art algérien a débuté au milieu des années 1980 grâce à deux galeries algériennes :

La Galerie Xenia, fermée en 1987, et la Galerie Issiakhem, rebaptisée Isma en 1989. Elles ont été rejointes par la Galerie M, fermée en 1992. Le marché, qui tournait autour de ces trois galeries, s’est développé jusqu’en 1992/1993, où il a fut brusquement interrompu par les bouleversements politiques entre 1992 et 2000.
Le marché a repris après 2002, d’abord timidement, puis de façon régulière. Il est principalement dominé par des œuvres non originales ; l’art moderne et contemporain, ainsi que l’art historique orientaliste (XIXe et début du XXe siècle) occupent une place mineure pour des raisons différentes. Le profil plutôt conservateur des acheteurs explique le caractère confidentiel du marché algérien de l’art moderne et contemporain, tandis que l’offre limitée d’art orientaliste historique en Algérie permet de comprendre sa moindre part. Cependant, la tendance actuelle va vers une inversion de cette situation. L’art moderne, représenté par des artistes tels que M’hamed Issiakhem, Baya Mahieddine et Mohammed Khadda, suscite davantage d’intérêt, principalement en raison de la participation de leurs œuvres aux ventes publiques des maisons de vente Gros & Delettrez, Aguttes, Ader et Million à Drouot à Paris, chez Sotheby’s à Doha et chez Christie’s à Dubaï, où elles ont atteint des prix élevés.
De son côté, Christie’s, à Dubaï fait la part belle aux artistes contemporains, tels que Rachid Koraichi, Ahmed Ben Bella, Abdallah Benanteur, Rachid Khimoune, Kader Attia et Djamel Tatah. Le succès de ces artistes a attiré l’attention des collectionneurs algériens qui ne s’intéressaient auparavant qu’à l’Orientalisme et aux œuvres peu originales. Les prix des œuvres de ces artistes commencent à flamber à Alger, signe de l’essor du marché de l’art contemporain.
Depuis 2005/2006, le marché de l’art s’articule autour de 10 galeries, situées pour la plupart à Alger.
n grand nombre de ces galeries sont gérées par des jeunes manifestement passionnés par leur métier et décidés à promouvoir les jeunes artistes algériens. Les expositions qu’elles organisent sont régulières et de plus en plus nombreuses. Cependant, il semblerait que la dynamique artistique ne se traduise pas par une vitalité commerciale proportionnelle ; sans doute à cause du profil des acheteurs mais aussi du manque d’expérience de ces jeunes galeries.
La galerie Al Marhoon, jeune galerie d’Alger, semble avoir une approche professionnelle. Outre l’organisation d’expositions, elle participe à des foires à l’étranger, telles que Art Dubaï et AKAA à Paris, où elle présente ses artistes à un public étranger. En outre, son site web, bien conçu, améliore la visibilité de ses artistes.
Une autre galerie, Seen Art Gallery, semble prometteuse, tout comme la structure alternative, Les Ateliers Sauvages, qui s’intéresse particulièrement aux jeunes artistes, comme le groupe Picturie Générale (Mourad Krinah, Walid Bouchouchi et Youcef Krache).
Aux côtés de ces galeries, le MAMA (Musée Public National d’Art Moderne et Contemporain) joue un rôle central depuis son inauguration en 2007. Il est réputé pour la qualité de ses expositions, qui ont permis au public algérien, dont des collectionneurs, de découvrir l’art moderne et contemporain algérien, les artistes de la diaspora, ainsi que ceux originaires d’Afrique et du monde arabe.
Les cinq expositions sur la création africaine en 2009, coïncidant avec le deuxième festival panafricain de la même année, ont suscité un vif intérêt pour l’art, l’Afrique et le monde arabe, encourageant les artistes – notamment la jeune génération – à aller voir ce qui se passe dans les cultures arabes et africaines, élargissant ainsi leur vision artistique.
Des sites web tels que founoune.com contribuent également à une meilleure lisibilité de l’art en Algérie, tout comme les rubriques consacrées à l’art dans la presse quotidienne. Les efforts des galeries, ainsi que l’intérêt des maisons de vente aux enchères telles que Christie’s et Sotheby’s, ont renforcé l’idée qu’il est peut-être temps pour les collectionneurs algériens de s’intéresser de plus près au patrimoine artistique algérien. Cela indique une progression, passant de l’achat pour décorer son intérieur au désir de constituer une véritable collection d’art, à travers des stratégies artistiques et patrimoniales. Ce qui conduirait à l’implication d’acteurs professionnels – tels que consultants en art, assureurs, experts et restaurateurs – qui apporteraient des solutions à la gestion du patrimoine artistique.
La diaspora artistique algérienne constitue un modèle pour les jeunes artistes et, dans une moindre mesure, pour les artistes du même âge. La visibilité croissante d’artistes tels qu’Attia, Tatah, Koraichi, Benanteur et Ben Bella dans musées, galeries et salles de vente contribue à convaincre les jeunes que le succès est possible pour les jeunes artistes vivant en Algérie. Ils considèrent cependant qu’ils auraient plus de chances de réussir s’ils s’installaient en Europe. Ils reprochent au ministère de la culture algérien de ne pas avoir créé une infrastructure dotée de règles et d’acteurs clés pour permettre une vie artistique épanouie. L’existence de galeries et de musées, tels que le MAMA, est certes une condition nécessaire, mais les mécanismes de soutien public semblent faire défaut. Il n’existe pas de loi sur le mécénat ni d’aide aux galeries favorisant le développement de la carrière des jeunes artistes ; les budgets des musées pour l’acquisition d’œuvres d’art sont insuffisants ; aucune incitation fiscale et l’exportation d’œuvres d’art moderne et contemporain est soumise à des contrôles stricts et tatillons. Le système se développe uniquement grâce à la volonté des professionnels de l’art et de certains collectionneurs. L’influence de la diaspora est manifestement un modèle de réussite mais c’est moins le cas du contenu artistique, même si certains jeunes artistes s’inspirent parfois d’artistes connus de la diaspora.
Les collectionneurs algériens ne sont pas nombreux ; seulement une vingtaine possède une grande collection de plus de 50 œuvres. Les collections sont centrées sur l’art algérien (Orientalisme et/ou art moderne et contemporain). Historiquement, les collectionneurs étaient surtout avocats et médecins. Mais aujourd’hui, il s’agit plutôt d’industriels ou d’hommes d’affaires qui se sont enrichis grâce au développement du secteur privé algérien au cours des 30 dernières années.
Ces collectionneurs continuent à acquérir des œuvres et sont prêts à payer des œuvres d’artistes algériens à des prix plus élevés, à condition que ces prix correspondent à un quota réel. C’est là que les galeries algériennes ont un rôle à jouer. Il ne leur suffit plus d’organiser des expositions ou de rester dans leur rôle de conservateurs. Elles doivent se transformer en marchands d’art, conscients de tous les mécanismes du marché et dotés du sens des responsabilités. Un code de déontologie fixant les règles à observer entre artistes et galeries, collectionneurs et galeries, et entre galeries elles-mêmes serait le bienvenu. En l’absence d’un syndicat des galeries algériennes, le ministère de la Culture pourrait, en instaurant un tel code, contribuer au développement du marché.
lionel ManGa
Critique d’art
Pascale Marthine Tayou et Barthélémy Toguo sont les deux plus grands artistes originaires du Cameroun mais vivant dans la diaspora.
Pascale Marthine Tayou
Tayou vient souvent au Cameroun, où il a piloté un projet sous l’égide du Goethe Institut pour son cinquantenaire. Virtuose de la décontextualisation, il franchit tout ce qui ressemble à une frontière, tant celles entre les nations que celles séparant les objets en les enfermant dans un espace d’usage spécifique, que celles qui isolent les époques.
Les installations monumentales constituent le mode d’expression préféré de Tayou. Qu’il s’agisse de poteaux basculants suspendus dans un jardin ou de la carcasse d’une voiture d’occasion importée du Cameroun en Europe, il déplace les objets pour leur conférer des identités inédites qui les rendent éloquents dans l’espace de l’exposition, par le biais d’une gymnastique mentale. Cette œuvre exubérante et prolifique, associant audacieusement le cristal précieux à des matériaux triviaux et quotidiens, se déploie dans le domaine de la traduction et du déplacement.
Barthélémy Toguo
Toguo est de plus en plus présent à Bandjoun (Cameroun occidental), où il a construit un centre d’art contemporain appelé Bandjoun Station. On peut le décrire comme un artiste visuel aux multiples facettes. De la peinture au dessin, de la vidéo et de l’installation à la photographie, en passant par la gravure et la performance, Toguo fait feu de tous les médias afin de traiter tous les aspects de la condition humaine.
Ses aquarelles aux couleurs tendres ne sont jamais exemptes de violence, pas plus que ses compositions variées, parfois chargées d’ironie et suscitant l’étonnement. On peut aussi penser aux poupées enveloppées de bandages dans sa performance « The Sick Opera » (Palais de Tokyo, 2004), riche en propos sans concession et d’une profonde signification politique. Toguo aime également jouer avec les stéréotypes. Cette aptitude à défier les catégories le rend insaisissable et imprévisible, ce qui est la seule marque de fabrique de son œuvre, dont l’étendue reflète la nature infinie de la vie elle-même.
Les artistes de la diaspora n’ont pas, à proprement parler, d’impact sur l’essor et l’évolution de la scène locale, même si l’on peut voir dans l’élargissement constant des pratiques, allant de l’installation à la performance, un effet évident de la visibilité offerte à l’art contemporain par les médias. Cependant, l’approche pluridisciplinaire et les champs de questionnement qu’embrassent Toguo et Tayou n’ont pas encore été adoptés par de nombreux artistes locaux au Cameroun. Néanmoins, les artistes en devenir ont aujourd’hui compris l’importance d’imprégner leur pratique de théorie et d’avoir un discours cohérent.
De leur côté, Simon Njami et le Dr Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, conservateurs d’origine camerounaise, connaissent le plus de succès. Njami est un invité récurrent du centre d’art contemporain Doual’Art. Il a récemment donné une conférence à la Galerie MAM à Douala, le plus grand port et la ville du Cameroun la plus importante économiquement. Ndikung, fondateur et directeur artistique de l’espace d’art SAVVY Contemporary à Berlin, a été nommé commissaire général de la Documenta 14 à Kassel (Allemagne), et à Athènes.
nII anDrEWS
Critique d’art

L’EFFET / L’INFLUENCE DE LA DIASPORA AFRICAINE SUR L’ART CONTEMPORAIN GHANÉEN

La compréhension du terme « diaspora » (personnes installées loin de leur patrie ancestrale) à notre époque présente de nombreux problèmes potentiels. Ils deviennent particulièrement aigus lorsqu’il s’agit de la diaspora africaine, phénomène largement mondial. Nos plus incontestables observations objectives indiquent que la patrie ancestrale de toute l’humanité est l’Afrique. Devons-nous alors y inclure la quasi-totalité de la population mondiale située en dehors de ce continent ? Ou devons-nous commencer par la traite des esclaves arabes de l’Afrique vers les territoires de l’Est, initiée en 1300 ? Il est certain qu’un ensemble arbitraire de paramètres nous permettra de mieux cibler notre discussion.
Nous limiterons donc la diaspora à deux groupes.
Premièrement, les Ghanéens qui se sont installés (vivent, travaillent) en dehors du Ghana – estimés entre 3 et 4 millions. Jusqu’à 200 000 vivent aux États-Unis, la plus grande économie du monde. On estime que seuls 5 % d’entre eux se situent dans la tranche des 10 % des revenus les plus élevés, soit 140 000 dollars américains. Quelque 80 à 100 000 autres vivent au Royaume-Uni. La contribution annuelle des envois de fonds (au Ghana) en provenance de la diaspora américaine et britannique s’élève respectivement à 33 et 25 millions de dollars US.
Toutefois, deux pays de la sous-région, Nigeria et Côte d’Ivoire, accueillent respectivement 200 000 et 50 000 Ghanéens. Les envois de fonds annuels du Nigeria s’élèvent à 21 millions de dollars US et ceux de la Côte d’Ivoire à 12 millions de dollars US. La proportion des revenus que les groupes susmentionnés consacrent à l’art contemporain ghanéen n’est pas connue. Il sera également intéressant d’établir si le montant dépensé a augmenté au cours de la dernière décennie.
Il existe un autre segment de la diaspora africaine dont la genèse est radicalement différente. Il est composé des descendants des millions d’Africains arrachés de force à leur patrie, emmenés de l’autre côté de l’Atlantique et contraints d’endurer les dures conditions de l’esclavage entre 1400 et 1900.
Nous ne dirons pas qu’ils étaient des immigrants, certainement pas – aussi bien intentionnés soient-ils !
Aujourd’hui encore, ils sont confrontés à des obstacles structurels à long terme, qui rendent leur intégration sociale et leur mobilité ascendante plus difficiles que pour d’autres groupes. Il existe également chez eux (comme dans d’autres groupes de la diaspora) une identité de groupe qui comprend la création continue d’une conscience ou d’une mythologie communautaire qui les lie à la terre ancestrale.
Les intellectuels, professionnels, artistes et activistes de ce groupe (George Padmore, W.E.B. Dubois, Maya Angelou, Bill Sutherland, Maynard Rustin et d’autres) ont exercé une influence non négligeable sur les pensées et les actions des leaders nationalistes du milieu du vingtième siècle au Ghana, en particulier Kwame Nkrumah.
Jean Allman décrit cette période comme une époque où l’État ouest-africain du Ghana était un site pivot pour imaginer un monde non-aligné entièrement nouveau ; à cette époque les Ghanéens, rejoints par une foule d’acteurs transnationaux (militants et intellectuels afro-américains, nationalistes irlandais et gallois, militants pacifistes antinucléaires, communistes sud-africains, panafricanistes caribéens) coopéraient, s’entendaient et se heurtaient sur la manière de construire un monde non racial, anti-impérialiste et libre de toute arme nucléaire – au plus fort de la guerre froide.
Nous pouvons supposer que leur influence s’est étendue à la genèse de la personnalité africaine et à l’œuvre artistique de Kofi Antubam, Kobina Bucknor, Saka Acquaye, Vincent Kofi, Amon Kotei, A.O. Bartemius et Oku Ampofo. Ces artistes ainsi que d’autres ont été les précurseurs des paradigmes de l’art africain contemporain dans l’espace culturel libéré du Ghana nouvellement indépendant.
Même lorsqu’ils se sont inspirés des traditions africaines en matière de sculpture et d’iconographie, ils ont persévéré et formulé des idées artistiques alternatives, produisant ainsi un nouvel art qui s’adressait aux masses ghanéennes renaissantes. Ce phénomène a également trouvé un écho dans la diaspora africaine, notamment aux États-Unis, où, dans les années 50 et 60, la diaspora était alors engagée dans les luttes épiques pour les droits civiques.
Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des symboles et des formes esthétiques ancestrales africaines. Elles apportent cohésion et concentration aux peuples africains et leur permettent ainsi d’affronter les problèmes existentiels.
Deux exemples suffiront.
Le signe Sankofa a servi à encourager les peuples africains à se tourner vers leur passé afin de retrouver et de conserver des préceptes indigènes utiles et de les mettre au service de leur progrès et de leur avancement.
Deuxièmement, lorsqu’ils étaient en butte à l’apparente futilité de leur lutte pour l’émancipation, ils ont cherché à comprendre que les revers du moment n’étaient que temporaires ; tout passera, sauf Dieu, dit le symbole Gye Nyame.
Grâce à l’interprétation à la fois percutante et glamour de la culture africaine folklorique et indigène, les pionniers de l’art contemporain ghanéen ont donné le coup d’envoi d’une nouvelle dispensation sociale et politique.
Peut-être que les deux groupes, de part et d’autre de l’Atlantique, se sont nourris l’un de l’autre, d’une manière à laquelle ont fait allusion les leaders afro-américains Martin Luther King et Malcolm X. Dans la culture populaire de l’époque, cela se manifestait par le port de dashikis, de peignes afro, d’afros de 23 centimètres et de perles… sans oublier le slogan « I’m Black and Proud » (Noir et fier de l’être).
Malheureusement, au Ghana, cette floraison indigène de formes d’art contemporain ne s’est pas encore traduite par la création d’un musée national d’art contemporain – phénomène courant en Amérique, en Europe et en Asie.

Cette lacune est inacceptable dans le contexte du rôle présumé du Ghana comme précurseur en Afrique. Des initiatives privées ont toutefois été prises pour collecter, promouvoir et présenter l’art contemporain ghanéen.

Citons par exemple le Loom, l’Artists Alliance Gallery, la Dei Foundation et ARTcapital Ghana. Ces institutions bénévoles présentent en permanence de superbes collections d’œuvres d’art ghanéennes contemporaines et des pièces sont toujours disponibles à la vente.

Des expositions spécialisées sont également organisées dans ces institutions, accompagnées de catalogues sur papier glacé, bien rédigés, fournissant ainsi une documentation essentielle sur les œuvres d’art à destination du marché local et international. Les collections comprennent le travail de jeunes artistes prometteurs et d’artistes importants/reconnus qui participèrent à l’exposition révolutionnaire de 1989 « Magiciens de la Terre » en France, à la Biennale de Venise, à Art Dubaï, à Art Basle ainsi qu’à d’autres événements artistiques importants fréquentés par la jet-set internationale, les courtiers les plus influents et les faiseurs de tendances. Parmi les artistes contemporains ghanéens ayant bénéficié d’une telle visibilité internationale figurent Ablade Glover, Ato Delaquis, George Afedzi Hughes et Wiz Kudowor.
L’énorme publicité médiatique générée par ces événements internationaux en faveur des artistes est plus facilement accessible et souvent bien mieux appréciée par la diaspora africaine, mais beaucoup moins par leurs compatriotes domiciliés au Ghana. Par conséquent, les premiers sont plus enclins à acheter les œuvres de l’artiste à des prix « préférentiels » lorsqu’ils se rendent au Ghana.
Il va sans dire que ces prix « réduits » sont souvent considérés comme préjudiciables par ces derniers – qui supposent que l’achat d’œuvres d’art ne figure pas parmi leurs priorités. Un autre inconvénient de ce marché est la nature souvent instable de la monnaie locale. Cela joue en faveur de l’acheteur diasporique, surtout lorsqu’il est prêt à acheter plusieurs pièces.
Les réticences des artistes locaux à travailler uniquement par l’intermédiaire de galeristes ou d’une équipe de gestion/marketing désavantage également le marché. Tous ces facteurs font du marché de l’art contemporain ghanéen un marché favorable aux acheteurs, avec des avantages particuliers pour l’acheteur diasporique. Deux observations empiriques concernant le Ghana sont également pertinentes ici. Tout d’abord, il est beaucoup plus facile pour les clients potentiels d’apprécier, de comprendre et de vouloir acheter une œuvre d’art lorsqu’elle est présentée dans un cadre meublé, par exemple dans un salon ou un bureau, plutôt que sur les austères murs blancs d’une galerie.
Cette observation, si elle est prise au sérieux par les marchands d’art, devrait conduire à une augmentation du nombre d’acheteurs d’art. Deuxièmement, il est très rare de voir des parents ghanéens visiter une galerie d’art avec leurs jeunes enfants. Il est beaucoup plus probable qu’ils se rendent ensemble dans un centre commercial ou un fast-food. Intuitivement, cela ne présage rien de bon pour la croissance de la future clientèle du marché de l’art local.
The preponderance of evidence suggests that the economic power of several African states is on the ascendancy in the world just as the US and Europe begins to wane but their cultural power and proclivities remain largely intact. The overwhelming majority of institutions that dictate the importance and monetary value of art are located in the west.
David Dibosa résume ainsi la situation : « Les grandes institutions de collection comme la Tate et le Moma fonctionnent un peu comme les grandes banques. Elles sont toujours sûres et peuvent garantir la valeur culturelle d’une œuvre d’art partout et pour toujours. C’est pourquoi la reconnaissance de la Tate est un enjeu si important : c’est un cachet d’approbation qui augmentera la valeur et la possibilité de collectionner l’œuvre ».
Cependant, même si leur nombre est en augmentation, les diasporas africaines sont encore peu nombreuses dans l’appareil de pouvoir et de décision de ces influentes institutions. Il est clair que la dynamique du pouvoir entre le marché ghanéen de l’art contemporain, faiblement structuré, et les grandes institutions de collection occidentales penche en faveur de ces dernières.
En 2012, lorsque la Guaranty Trust Bank, SA, grande banque nigériane et l’une des plus respectées d’Afrique de l’Ouest, s’est associée à la Tate dans le cadre du programme Tate Africa, la Tate a refusé de révéler des chiffres sur son engagement. Nous ne pouvions que spéculer et espérer que le rôle de la banque était substantiel.

Enfin, la valeur de prestige (ou, si vous préférez, le « facteur cool ») de la possession d’œuvres d’art africain contemporain ne passe pas inaperçue au Ghana, ni dans la liste croissante de millionnaires et peut-être de milliardaires africains. En outre, ce groupe a montré qu’il était suffisamment avisé pour réaliser le potentiel d’investissement d’un tel actif. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a dix ans à peine, les facteurs susmentionnés n’étaient appréciés que par un petit groupe de connaisseurs au Ghana et dans la diaspora, groupe qui ne cesse de s’élargir.
Espérons qu’il ne s’étendra pas au nombre important de spéculateurs qui ont provoqué des remous et une surchauffe sur les marchés de l’art contemporain occidentaux et asiatiques.

 

Seul l’avenir nous le dira.