Par Anna Sansom, journaliste.
La scène artistique camerounaise connaît une croissance exponentielle. Le Cameroun a participé pour la première fois à la Biennale d’art de Venise en 2022 avec son propre pavillon réparti sur deux sites. Les œuvres de quatre artistes camerounais (l’artiste multimédia Francis Nathan Abiamba, la photographe Angèle Etoundi Essamba, la sculptrice et vidéaste Justine Gaga et le peintre Salifou Lindou) ont été présentées aux côtés de quatre artistes internationaux au Liceo Artistico Statale Michelangelo Guggenheim. Parallèlement, des NFT de 20 artistes internationaux ont été présentés au Palazzo Ca’ Bernardo.
Ce qui attire également l’attention au Cameroun, c’est la peinture figurative d’une nouvelle génération. La demande pour ces artistes s’aligne sur l’appétit pour la peinture figurative noire dans le reste du continent africain et de la diaspora.
Les artistes pionniers Pascale Marthine Tayou et Barthélémy Toguo, dont les noms sont synonymes de leurs origines camerounaises, contribuent à ouvrir la voie à cette jeune génération. Tayou, qui est basé à Gand, est connu pour sa riche pratique pluridiciplinaire qui s’inspire de son héritage africain et le réinterprète. Quant à Toguo, qui partage son temps entre Paris et Bandjoun au Cameroun, il réfléchit à des sujets géopolitiques tels que la pénurie d’eau en Afrique, les migrations, la persécution et les droits civils.
Depuis leur apparition sur la scène artistique il y a plusieurs décennies, ils ont tous deux beaucoup exposé et leurs œuvres multimédias ont été acquises par des collections prestigieuses. Bandjoun Station, fondée par Toguo sur les hauts plateaux de l’ouest du Cameroun, près de la ville de Bafoussam, a également joué un rôle essentiel dans le développement de la scène artistique camerounaise. Elle offre une plateforme éducative pour les enfants de trois à dix-huit ans, des résidences d’artistes et un espace d’exposition, ainsi qu’une plantation de café.
Plusieurs autres initiatives orientent la scène artistique camerounaise et encouragent les talents locaux. Depuis son ouverture en 1991, le Centre d’art contemporain de Douala accueille des expositions d’artistes africains, encourage l’éducation et propose des programmes de formation. La Galerie MAM, fondée à Bonanjo dans les années 1990, a également joué un rôle essentiel dans le développement de la carrière d’artistes africains, notamment Toguo et le photographe camerounais Samuel Fosso. Elle gère également un programme de résidence d’artistes.
Il existe également au moins deux écoles supérieures d’art : l’Institut des Beaux-Arts de l’Université de Douala et La libre académie des beaux-arts de Douala (LABA Douala). Cette dernière a ouvert ses portes en juin 2020 avec le soutien d’une organisation non gouvernementale italienne, d’une académie d’art italienne à Brescia et de l’archidiocèse de Doula.
Tous ces développements soutiennent les artistes camerounais. « Nous voyons une nouvelle génération d’artistes passionnants et, avec la République démocratique du Congo, le Cameroun est probablement le marché le plus dynamique d’Afrique centrale », déclare Adriana La Lime, spécialiste de l’art africain moderne et contemporain chez Sotheby’s à Londres. « Il y a une créativité incroyable et on peut trouver des œuvres d’une qualité exceptionnelle à des prix relativement abordables. Ces artistes attirent une jeune génération de collectionneurs, tant en Afrique que dans le monde, qui cherchent à élargir leur collection au-delà des artistes européens et américains ».
Cependant, La Lime souligne que « nous avons évidemment besoin d’un plus grand nombre de mécènes, d’un plus grand nombre d’artistes : « Il est évident que nous avons besoin de plus de mécènes, de plus d’espaces et de plus d’infrastructures, mais tout indique que le Cameroun se développe comme un incroyable écosystème pour l’art contemporain et qu’il deviendra, nous l’espérons, l’un des marchés les plus solides du continent. »
Parmi les praticiens, Marc Padeu revisite le christianisme en intégrant la figuration noire et en dépeignant des scènes de la vie contemporaine dans des œuvres vibrantes et convaincantes. Né en 1990, il réalise des tableaux qui interfèrent avec des évocations allant de la Pietà à la Cène, en passant par le baptême du Christ, l’art de la Renaissance et le couronnement des rois africains. Des répétitions de formes graphiques rappelant vaguement l’art cinétique figurent également sur ses toiles aux couleurs vives. Son record de vente aux enchères est « Voici l’homme ! » (2019), qui représente deux hommes aux cheveux roux trahissant une figure christique aux mains liées, dans une scène rappelant la trahison de Judas dans le jardin de Gethsémani. Le tableau a dépassé son estimation de 5 000 à 8 000 € pour atteindre la somme vertigineuse de 195 000 € chez Piasa en novembre 2019.
Ludovic Nkoth est un autre artiste en devenir qui s’est rapidement forgé une réputation pour ses portraits saisissants caractérisés par une approche grésillante de la couleur et des coups de pinceau épais. Né à Yaoundé en 1994, Nkoth s’est installé aux États-Unis à l’âge de 13 ans. Depuis qu’il a obtenu une maîtrise en peinture au Hunter College, il a participé à des expositions individuelles chez Massimo De Carlo à Londres et chez François Ghebaly à Los Angeles.
En l’espace de quelques années, le marché des portraits saisissants de Nkoth s’est rapidement développé. Beauty (2019), une femme sereine portant un chapeau noir bordé de blanc, est passée sous le marteau de Phillips New York en mai 2022 pour 75 600 dollars.
Acrylique et marker sur toile.152.4 x 122.2 cm
« Mon travail tente de retrouver les choses qui ont été enlevées à mon peuple. Des choses telles que le pouvoir, la culture, l’idée de soi et l’idée d’être noir et fier », a déclaré M. Nkoth. « Peindre les membres de ma famille me permet de documenter nos racines et notre parcours pour la prochaine génération.
Jourdan Tchoffo Kuete, 30 ans, réalise quant à elle des peintures élégantes teintées de nostalgie. Représentant souvent des familles et des intérieurs, ses œuvres s’inspirent des photographies de Seydou Keïta, Malick Sidibé et James Barnor, de l’architecture coloniale et de l’esthétique « Americana » de la fin du XXe siècle. Depuis l’obtention de son diplôme à l’Institut des Beaux-Arts de Foumban au Cameroun en 2019, Kuete a exposé au In and Off Center à Douala et au Blaackbox à Bruxelles.
Le tableau « Déjeuner en vacances » (2021), dans une palette d’or, de blanc, de noir et de rouge, représentant un couple et leur fille mangeant des Cornflakes dans une pièce surplombant une plage, illustre l’approche stylisée et cinématographique de Kuete. Le tableau a été vendu 22 100 € (25 045 $) chez Artcurial à Paris en novembre 2021, dépassant largement l’estimation de 3 000 à 5 000 €.
L’artiste autodidacte Sesse Elangwe, 31 ans, réalise également des portraits captivants à grande échelle. Né au Cameroun, où il a étudié les sciences politiques, et aujourd’hui installé au Texas, Elangwe s’inspire du pop art et du réalisme pour créer des œuvres audacieuses autour de l’identité. La caractéristique la plus remarquable de ses peintures est l’œil asymétriquement plus grand de ses sujets. Par exemple, le jeune homme élégamment vêtu assis sur un banc public dans le tableau « A Man Alone » (2021) fixe le spectateur de face, comme pour sonder sa perception ou son niveau de conscience. Cette œuvre a dépassé les 3 000 à 5 000 livres sterling chez Sotheby’s Londres l’année dernière pour atteindre 22 680 livres sterling.
En revanche, Boris Nzebo, 53 ans, mélange l’esthétique des tissus à motifs africains dans des œuvres vives combinant abstraction et figuration, tout en réfléchissant à la guerre et à l’identité. Par exemple, « Enfants Soldats 01 » (2017) associe des couleurs joyeuses et un grand visage souriant à un groupe d’enfants représentés par des points, des rayures et des formes géométriques. Elle a atteint 22 100 € (27 361 $) chez Piasa en avril 2018 contre une estimation de 17 000 à 22 000 €.
Jean David Nkot, né en 1989, dépeint quant à lui la condition humaine dans des tableaux consacrés à la faim des enfants, à la construction et aux travailleurs migrants. Ce qui les caractérise, c’est qu’elles sont placées sur un fond complexe de cartes et de frontières. L’un de ces portraits, représentant un jeune homme en short bleu et T-shirt rouge appuyé sur un sac, les bras croisés, intitulé « Po.box transporteur / cassiteri.org » (2020), est passé sous le marteau pour 169 000 MAD (18 980 $) chez Artcurial à Marrakech en décembre 2020.
Un autre nom à suivre est celui de Bernard Ajarb, connu pour ses toiles exubérantes de communautés et de villes animées rendues dans des vagues dynamiques de couleurs saturées. Ce qui est remarquable, c’est la façon dont il rassemble des points de référence tels que la photographie de studio africaine en noir et blanc après l’indépendance et les influences des plateformes de médias sociaux. Son record de vente aux enchères est « Tell me story Mami » (2019), représentant un groupe de personnages et de parasols, qui a atteint 110 500 MAD (12 528 $) chez Artcurial à Marrakech en mai 2021.
Bien que de nombreux artistes suscitant l’intérêt soient des hommes, plusieurs femmes artistes s’illustrent également. Par exemple, la jeune artiste Alida Ymele se penche sur les difficultés et le sort des femmes au foyer dans des portraits puissants sur des fonds à carreaux rappelant les tissus africains. Quant à Yougang Lauriane, elle réalise des céramiques et des peintures en s’inspirant de sa culture locale.
