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État du Marché du Design en Afrique en 2015

Katie de Klee
Design Indaba, Le Cap
Design Indaba est un festival annuel de design fondé en 1995 par le directeur général Ravi Naidoo. Katie de Klee est la rédactrice en chef de designindaba.com, plateforme numérique d’actualités et de reportages. Elle organise également la convention et le festival de création Design Indaba qui se tient chaque année au Cap, retransmis en direct dans six villes d’Afrique australe.
Le design en Afrique est encore une industrie jeune. Jusqu’à très récemment, le design avait été considéré seulement comme un artefact et une curiosité, car il était plus courant d’explorer la culture matérielle de l’Afrique que de se pencher de façon approfondie de la scène de design contemporaine du Continent. L’enseignement du design est relativement récent et reste en retrait par rapport aux institutions académiques du monde occidental. Jusqu’en 2008, aucune école d’architecture au Rwanda. Le mot « architecte » n’existait même pas en kinyarwanda, la langue maternelle rwandaise. L’Italie compte à elle seule 153 000 designers et architectes qualifiés, contre 35 000 sur l’ensemble du continent africain. La scène du design en Afrique du Sud est en pleine expansion, mais elle est surtout constituée de petites entreprises et d’entrepreneurs. Très peu de design est réalisé à grande échelle sur le continent, même si l’Éthiopie semble changer la donne. Pour que les designers africains puissent répondre à la demande du marché mondial, il est indispensable que l’infrastructure du design industriel fasse un énorme bond en avant.
Les designers africains créent dans des environnements où les ressources sont rares, mais ils s’avèrent extrêmement ingénieux. Ils n’ont souvent reçu aucune formation formelle, ce sont des créatifs hybrides dotés de compétences intuitives, centrés sur la résolution des problèmes qui démontrent une sensibilité plus aiguë que les designers charitables et bien intentionnés du monde développé.
Le design africain fait revivre des matériaux qu’une grande partie du monde considérerait comme des déchets, comme le montre le travail des designers sénégalais Ousmane Mbaye et Amadou Fatoumata. Mbaye fabrique des pièces uniques à partir de matériaux qu’il récupère dans les décharges de Dakar, tandis que Fatoumata transforme de vieux pneus de voiture en créations et sculptures. De même, Reform Studio, basé au Caire, crée des motifs tissés aux couleurs vives à partir de sacs plastique réutilisés.
Le monde entier a les yeux rivés sur le design africain – il est apparu dans les défilés de mode, les galeries et les expositions des musées du monde entier. Dokter and Misses, le studio de design sud-africain du couple Adriaan Hugo et Katy Taplin, crée des meubles et des objets d’intérieur aux motifs graphiques et audacieux. La créatrice de mode sénégalaise Selly Raby Kane crée des vêtements surréalistes inspirés de la bande dessinée, qui bouleversent les codes de la mode sénégalaise. Laduma Ngxokolo, créateur fondateur de MaXhosa, utilise des perles et motifs traditionnels xhosa pour célébrer dans ses textiles le riche patrimoine de la culture xhosa.
L’architecte ghanéen David Adjaye, décoré de l’Ordre de l’Empire britannique en 2007, est une figure internationale majeure de l’architecture. Sans adhérer à une esthétique géographique ou culturelle spécifique, il cherche à apporter à ses projets une vision typiquement « afropolitaine ». Quant à l’architecte rwandais Christian Benimana, il utilise des artisans et des matériaux locaux pour apporter compétences, revenus et dignité à la communauté, car il est convaincu que l’architecture est un catalyseur de la paix. Le design est la clé de la transformation du continent et du ré-enchantement de ses villes à la si rapide croissance.
Même le design et l’entrepreneuriat à petite échelle ont le potentiel de fournir aux jeunes un moyen de gagner un revenu durable.
Instantané
Par Franck Houndégla
Franck Houndegla conçoit des projets de design pour décors, musées, espaces publics et sites patrimoniaux en Europe, en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient, aux Caraïbes et aux États-Unis. Depuis 2012, il est directeur artistique de Liaisons urbaines, initiative orientée vers le réaménagement des espaces publics dans les villes africaines, soutenue par l’Institut Français. Aujourd’hui, trois projets ont été réalisés au Bénin, au Tchad et au Maroc.
De nombreux designers de qualité vivent sur le continent africain – des Africains, ceux de la diaspora et des Européens. Les plus visibles d’entre eux fabriquent des objets design, meubles et objets divers. Ils utilisent des réseaux de production artisanale et produisent en petites ou moyennes séries pour une clientèle internationale et locale « éclairée », par le biais de la vente directe ou de représentants : des magasins et galeries internationales et locales.
Dans le réseau dit « francophone », les principaux créateurs africains sont Cheick Diallo, Issa Diabaté, Bibi Seck, Hicham Lahlou, Khadija Kabbaj, Aïssa Dione, Jules Wokam et Vincent Bayilou, qui développent tous des projets remarquables. Mais il y en a bien d’autres, que ce soit au Ghana, au Nigeria et bien sûr en Afrique du Sud, où Design Indaba au Cap montre l’importance de ce secteur et où les développements urbains intègrent la dimension « design ». A Johannesburg, on trouve également le MOAD, Museum of African Design, qui a ouvert ses portes en 2013.
L’influence des designers susmentionnés ne se mesure pas à leur puissance économique, c’est-à-dire au nombre de pièces vendues, mais à leur couverture médiatique, qui en fait des modèles inspirants pour les designers en herbe. Leurs objets, que l’on retrouve dans des magazines, blogs et expositions internationales (comme l’exposition itinérante « Making Africa » au Vitra Design Museum de Weil am Rhein, en Allemagne), donnent une image positive de la modernité africaine. L’intérêt des médias pour la créativité moderne africaine est une tendance assez affirmée. La création contemporaine africaine suscite un réel intérêt, qu’il s’agisse de littérature, d’art contemporain, d’architecture, de design, de musique, de danse ou de théâtre.
Même si cette visibilité n’a pas forcément de répercussions en termes économiques, c’est un puissant vecteur d’influence et de construction d’image. Il s’agit d’une forme de « soft power ».
Quant aux autres domaines du design, l’architecture d’intérieur et la scénographie sont très présentes au Kenya, grâce au tourisme et à l’hospitalité. Il suffit de jeter un coup d’œil aux centaines de designers/architectes d’intérieur figurant dans l’annuaire téléphonique du Kenya. Certains d’entre eux conçoivent la scénographie d’expositions pour les Musées nationaux du Kenya. Le design graphique est omniprésent en Afrique mais paradoxalement peu connu.
L’année dernière, se sont déroulés plusieurs événements importants liés au design, comme « Making Africa » au Vitra Design Museum9. Nous avons également eu la conférence du festival Africa Morocco Design Days et l’Africa Design Award, tous deux lancés par Hicham Lahlou à Rabat et Casablanca.
9 – Exposition itinérante « Making Africa » produite en 2015 par le Vitra Design Museum. Commissariat : Amelie Klein, conservatrice au Vitra Design Museum. Commissaire consultant Okwui Enwezor.

JOURNÉES ET PRIX DU DESIGN AFRICAIN, MAROC

Africa Design Days a été fondé par le designer marocain Hicham Lahlou et a tenu sa première édition, co-organisée avec la fondation ONA Foundation, au Maroc en 2015. La première édition s’intitulait Africa Morocco Design Days et s’est déroulée dans deux villes : à la Villa des Arts à Rabat du 20 mars au 17 mai 2015 et à la Villa des Arts à Casablanca du 22 mai au 19 juillet 2015. L’événement de Rabat a été inauguré par Salaheddine Mezouar, ministre marocain des affaires étrangères et de la coopération du Maroc. Plus de 90 objets réalisés par 45 designers de plus de 10 pays africains, dont des designers et des artisans du Maroc, ont été présentés sur les deux sites.
Lahlou a lancé l’idée des Africa Design Days (ADD) et de l’African Design Award (ADA) en 2014 lors du New York Forum Africa au Gabon où il était un orateur invité. Son objectif est de promouvoir les talents africains en permettant aux designers africains de «participer à l’élan du continent » à travers leur créativité, et de mettre en lumière une nouvelle génération de designers ainsi que ceux déjà établis sur le continent.
Après le succès de la première édition, il a été demandé à Hicham Lahlou d’organiser un événement satellite, Africa Design Days, en septembre 2015 pendant la Paris Design Week et le salon Maison & Objet, aux Docks – Cité de la Mode et du Design. Une de ses œuvres a été incluse dans l’exposition Making Africa au Vitra Design Museum à Weil am Rhein, en Allemagne, en 2015.