L’Afrique voit petit à petit son niveau de participation augmenter à la Biennale de Venise. Cette année, neuf nations africaines – soit un sixième des 54 pays que compte l’Afrique – ont leur propre pavillon à la 59e Biennale internationale d’art contemporain de Venise. Les nouveaux exposants – le Cameroun, la Namibie et l’Ouganda – rejoignent ainsi l’Égypte, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe à l’événement artistique le plus prestigieux au monde.
La vocation internationale de l’art contemporain africain et de sa diaspora
Les artistes d’Afrique et issus de la diaspora ont remporté de nombreux prix cette année. Le Royaume-Uni a gagné le Lion d’or de la meilleure participation nationale pour l’exposition de Sonia Boyce – la première artiste noire à représenter la Grande-Bretagne à la Biennale de Venise. Le Pavillon français a obtenu une mention spéciale pour son pavillon représenté pour la première fois par une artiste d’origine algérienne, Zineb Sedira. Même récompense pour l’Ouganda qui a obtenu une mention spéciale pour son pavillon où l’artiste Acaye Kerunen a impressionné le jury avec l’utilisation de matériaux durables comme le raphia, recouvert d’écorce, dans sa pratique sculpturale.
Sans oublier l’artiste afro-américaine Simone Leigh qui a remporté le Lion d’or du meilleur participant de l’exposition principale, “The Milk of Dreams”, pour son buste monumental en bronze, “Brick House” (2019) – une femme noire aux cheveux tressés dont la poitrine ressemble à une maison d’argile arrondie. Simone Leigh est doublement présente à la Biennale de Venise cette année puisqu’elle représente également le Pavillon américain.
Sous la houlette de Cecilia Alemani, “The Milk of Dreams” présente les œuvres de 12 artistes du continent africain sur un total global de 213 talents y participant. On y retrouve les peintures expressives et oniriques de l’artiste zimbabwéenne Portia Zvavahera, qui s’inspire en partie du spiritisme des croyances indigènes zimbabwéennes et pentecôtistes apostoliques. On y découvre également les tapisseries vibrantes à grande échelle de l’artiste sud-africain Igshaan Adams.
Le levier de la diplomatie culturelle
Pourtant, depuis des décennies, la participation des artistes africains est fortement impactée en raison de problèmes politiques et financiers. En effet, l’Egypte est le seul pays africain à avoir un pavillon permanent, érigé en 1952 dans les Giardini.
L’Afrique du Sud, qui a vu sa première participation à la Biennale de Venise en 1950, en a été exclue entre 1968 et 1991 en raison de l’opposition de la Biennale au régime d’apartheid. Ce n’est qu’en 1993, suite au référendum où les Sud-Africains blancs ont voté pour mettre fin à l’apartheid, que le pays fut invité à revenir à la biennale.
Le Pavillon africain, en 2007, a également suscité des polémiques. L’exposition, intitulée “Check-List Luanda Pop”, présentait des œuvres de la collection africaine d’art contemporain de Sindika Dokolo à Luanda, en Angola. Organisée par Simon Njami, l’exposition comptait environ 140 artistes de 28 pays. Il lui fut alors reprochée de rassembler des artistes africains sous la bannière unique du continent africain et, de plus, de faire de la publicité pour la collection de Dokolo.
Lorsque le Zimbabwe a participé à la Biennale de Venise pour la première fois en 2011, son commissaire Raphael Chikukwa, directeur de la National Gallery of Zimbabwe, est revenu sur le Pavillon africain de 2007. Il a notamment déclaré : « Auparavant, l’Afrique entière était regroupée dans un seul pavillon. Mais alors, pourquoi n’y a-t-il pas de Pavillon européen ? Les pays européens sont représentés individuellement. Cette fois, nous avons l’opportunité de présenter le Zimbabwe, enfin, comme une nation souveraine. »
Le Zimbabwe est le premier pays subsaharien à avoir un pavillon national à la Biennale de Venise – un succès sans précédent d’une ampleur historique. Ce qui est également incroyable, c’est la continuité constante de ce pavillon national depuis 2011, malgré les bouleversements politiques dans le pays.
Mais revenons brièvement sur l’édition de 2007 de la biennale. Il est à signaler que le Lion d’or a alors été décerné au photographe malien Malick Sidibé pour l’ensemble de son œuvre. Robert Storr, directeur de cette édition, en dresse les louanges : « Aucun artiste africain n’a fait plus pour mettre en valeur la stature de la photographie dans cette partie du monde, contribuer à son histoire, enrichir ses archives d’images et sensibiliser aux caractéristiques et aux transformations de la culture africaine dans la deuxième moitié du XXe siècle et le début du XXIe que Malick Sidibé. »
Quoi qu’il en soit, en 2013, les tirages photographiques d’Edson Chagas ont tellement impressionné les juges de la Biennale de Venise que l’Angola a remporté le Lion d’or de la meilleure participation nationale. L’installation en question montrait des images abstraites de Chagas de bâtiments délabrés à Luanda empilées sur un tapis dans un palais orné de chefs-d’œuvre de la Renaissance. L’exposition, intitulée “Luanda, ville encyclopédique”, marqua les débuts de l’Angola à la biennale.
Deux ans plus tard, Okwui Enwezor est devenu le premier Africain à être commissaire de l’exposition principale de la Biennale de Venise. Le conservateur nigérian, alors directeur artistique de la Haus der Kunst à Munich, a mis en scène une édition politiquement chargée, “All the World’s Futures”, qui explorait les passés coloniaux, un présent chaotique et l’inquiétude face à un avenir incertain. En reconnaissance de sa brillante carrière, Okwui Enwezor (1963-2019) a reçu, à titre posthume, un Lion d’or lors d’une cérémonie symbolique en 2020.
Parmi les artistes de “All the World’s Futures” figurait également El Anatsui, artiste d’origine ghanéenne basé au Nigeria. Son énorme installation créée avec des milliers de bouchons de bouteilles, semblable à une tapisserie, scintillait dans l’Arsenale. Avec à sa participation à l’exposition, il a remporté cette année-là le Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière.
El Anatsui a aussi participé au premier pavillon du Ghana, en 2019. Intitulée “Ghana Freedom”, en référence aux trajectoires et héritages que connut le pays après la fin du colonialisme britannique, l’exposition présentait six artistes. Dans un espace courbé conçu par l’architecte David Adjaye, on pouvait, parmi d’autres, y découvrir le cinéaste John Akomfrah, la photographe Felicia Abban et la peintre Lynette Yiadom-Boakye.
Madagascar a également participé pour la première fois à la Biennale de Venise en 2019. L’artiste Joël Andrianomearisoa – né à Antananarivo et basé en France – a séduit les visiteurs avec une installation toute noire et caverneuse. Portant le titre “J’ai oublié la nuit”, celle-ci était composée de fines couches de tissu superposées évoquant un paysage urbain nocturne et changeant.
Alors que certains pays comme Madagascar n’ont pu revenir à la biennale cette année, la Côte d’Ivoire, elle, y participe pour la troisième fois, après les éditions 2013 et 2017. Cette fois, le pays présente des œuvres de plusieurs artistes, dont des petits dessins sur carton par Frédéric Bruly Bouabré (sujet d’une exposition personnelle au Museum of Modern Art de New York), et des grands formats peints par Aboudia.
L’ampleur de la présence africaine se déploie dans d’autres expositions dans la cité sérénissime pendant la Biennale. Parmi les « événements collatéraux » incontournables, il faut noter l’exposition personnelle de la Sud-Africaine Marlene Dumas, “Open-End”, au Palazzo Grassi (qui appartient à François Pinault, fondateur du groupe de luxe Kering et propriétaire de la maison de vente Christie’s). Ainsi que “The Soul Expanding Ocean #3”, une exposition de vidéos et sculptures par un autre artiste sud-africain, Dineo Seshee Bopape, à l’église San Lorenzo.
La Biennale de Venise se déroule jusqu’au 27 novembre 2022.
“Marlene Dumas. Open-End” au Palazzo Grassi jusqu’au 8 janvier 2023.
https://www.palazzograssi.it/fr/expositions/en-cours/open-end-marlene-dumas/
“The Soul Expanding Ocean #3 : Dineo Seshee Bopape” à l’église San Lorenzo jusqu’au 2 octobre 2022.